Dans son allocution du 7 décembre 2023, Emmanuel Macron appelait les universités françaises à adopter une démarche audacieuse, à renforcer leur autonomie, à “amorcer un réel effort de simplification de gestion afin de construire ensemble les moyens de leur pleine responsabilité”. L’enjeu ? Responsabiliser les établissements et leur permettre une plus grande liberté d’action. Mais pourquoi un renforcement de l’autonomie souhaité, quand la loi relative aux libertés et responsabilités des universités d’août 2007 dans laquelle s’inscrit le passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE) prévoyait déjà l’introduction d’une autonomie financière et RH des établissements. Quels défis et opportunités attendre pour les universités et pourquoi proposer un acte II ? Examinons les grandes lignes de cette nouvelle réforme, encore en cours de définition, qui sera expérimentée par neuf établissements pilotes.
Autonomie des établissements d’enseignement supérieur : entre indépendance et responsabilité
Venant du grec « autonomia » formé à partir de deux éléments « auto » qui signifie « soi-même » et nomos qui signifie « loi », l’autonomie signifie littéralement se gouverner soi-même ou se donner ses propres lois. Cette racine étymologique souligne l’idée fondamentale d’indépendance et de la capacité à prendre des décisions. Cela implique la liberté du choix retenu en fonction de ses propres valeurs, besoins et objectifs ainsi que la responsabilité de ses actions et de leurs conséquences.
Pour les établissements d’enseignement supérieur, il s’agirait de pouvoir prendre des décisions de manière indépendante dans plusieurs domaines clés tels que l’organisation académique, la gestion administrative, le recrutement du personnel, le développement des programmes d’études, la recherche ou encore la gestion financière – tout ceci dans une logique de site.
Une autonomie encore relative pour les universités françaises
Selon l’association européenne des universités, (EUA), la France serait aujourd’hui en bas du classement en matière d’autonomie accordée aux établissements d’enseignement supérieur. Classée 16ème en autonomie organisationnelle et 28ème en autonomie pédagogique.
A titre d’illustration, la dernière place en termes d’autonomie académique tient au manque d’agilité sur la procédure d’ouverture d’une filière et la nécessaire habilitation de l’Etat et ce, même si les statuts actuels des universités leur permettent d’ouvrir des formations qui « échappent » à l’accréditation nationale. Enfin, l’autonomie financière accordée a constitué un indéniable facteur de modernisation de la gestion des universités mais le processus d’amélioration du pilotage et de la gestion financière reste à consolider afin qu’elles puissent disposer d’une vision suffisante à moyen et à long terme de leurs ressources et de leurs dépenses (constituées à 80% par de la masse salariale).
La solution à tous ces maux se nicherait-elle dans l’acte II de l’autonomie – qui entend aller plus loin mais soulève un certain nombre de questions ?
Les principaux défis à relever par une autonomie « protéiforme »
Si la volonté politique fortement affirmée sera, à terme, bénéfique pour les établissements, si le rapport Gillet auquel le Président fait notamment référence pose le cadre de réflexion de manière claire, si les différentes lois successives depuis la Loi Faure en passant par les lois de 1984, 2007 ou encore 2013 sont allés dans le sens du renforcement de l’autonomie et de la responsabilisation… force est de constater que nous n’y sommes pas.
L’autonomie à laquelle nous aspirons s’articulerait autour de 5 piliers :
- L’autonomie organisationnelle poserait la question des modalités de gouvernance et du système électif, des missions des différentes instances et notamment des conseils d’administration afin d’en faire des instances clés ancrées avec les besoins du territoire, du suivi et de l’évaluation de l’activité de l’établissement.
- L’autonomie pédagogique poserait la question du processus d’ouverture/fermeture d’une formation, de ses critères d’admission, de sa nécessaire ou non accréditation nationale, de l’assurance qualité et de l’évaluation à priori et à posteriori. Plus généralement, ce point soulèverait la question autour du rôle des établissements d’enseignement supérieur – tiraillés entre leur mission de service public et la nécessaire spécialisation/différenciation des territoires sur des formations pour partie plus “sélective”.
- L’autonomie financière poserait la question des établissements à s’inscrire dans un pilotage budgétaire pluriannuel en leur permettant de booster leurs ressources propres (droits d’inscription revus, développement de nouvelles formations, appel à projets, apprentissage…) voire d’emprunter. Le fléchage des crédits de l’État pourrait également être revu. Tout ceci, dans un contexte de fortes augmentations des dépenses liées, entre autres, à l’évolution du point d’indice, la GBCP ou encore aux dépenses d’énergie.
- L’autonomie RH poserait la question de la capacité des établissements à gérer les différentes populations (EC, BIATSS, personnel de droit public ou de droit privé) – y compris demain peut-être les personnels des organismes de Recherche sur l’ensemble de la chaîne de valeur – en se musclant sur les aspects de développement des talents, d’attractivité et de marque employeur.
- Enfin, l’autonomie de site qui, au-delà des aspects de dévolution du patrimoine ou de spécialisation/territorialisation de l’offre de formation, pose la question de l’articulation entre la formation et la recherche et en creux de celle des UMR.
Le ministère de l’ESR (MESR) dans un rôle de « stratège » pour assurer cette transition
Un Acte II qui, plus qu’une révolution, entend laisser aux universités les coudées franches pour aller au bout de l’Acte I. Les responsabiliser davantage en les engageant à travers un contrat d’objectifs de moyens et de performance – qui s’inscrira dans une démarche de suivi, d’évaluation et de mesure. Car ce qui ne se mesure pas – ne compte pas – et ne permet pas d’adopter des actions correctives. Pour que l’Acte II soit un succès, le Ministère devra se doter d’une vraie fonction de pilotage et de stratégie. Ce rôle se fera en lien avec le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) qui aura la charge de l’évaluation de l’atteinte aux objectifs.
Un accompagnement nécessaire des établissements
L’Acte II offre de réelles opportunités, mais il nécessitera également une montée en compétences des établissements.
Observateurs depuis une quinzaine d’années des mouvements auprès des acteurs de l’ESR que nous accompagnons régulièrement, nous notons trois défis sur lesquels nous pourrons les appuyer :
- l’élaboration et la revue de l’offre de formation la plus agile et flexible possible – en prise avec les besoins du territoire et de sa population. Cette offre devra être “marketée” afin de mettre en lumière ses facteurs de différenciation et de spécialisation ;
- la mise en place d’une fonction ressources humaines “augmentée” permettant d’embrasser de nouvelles activités ou d’intervenir sur toute la chaîne de valeurs (modalités de recrutement et d’évaluation facilitées, développement d’une marque employeur…) ;
- le développement d’une logique de prévision/suivi budgétaire pluriannuelle adossée à des outils pertinents afin de piloter au mieux la donnée et qu’elle puisse servir la stratégie de l’établissement sur plusieurs années.
L’Acte II de l’autonomie des universités en France a donc le potentiel de rendre l’enseignement supérieur plus réactif, spécialisé et aligné avec les besoins locaux et régionaux des entreprises et des collectivités territoriales. Toutefois, cette réforme reste complexe à activer et doit tenir compte des défis financiers, organisationnels et sociaux des universités. Plutôt que d’un acte II, il s’agit avant tout de tirer profit de toutes les possibilités offertes par l’Acte I et des statuts des établissements – en faisant en sorte qu’ils deviennent pleinement acteurs de cette responsabilité et de cette autonomie qu’ils doivent encore conquérir.