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Cette confiance que l’on me porte est très gratifiante, mais aussi très responsabilisante : je suis obligé d’écouter mon intuition, de dire clairement les choses, et d’assumer les choix que je fais. Tout cela nécessite de rester soi-même.

Tous les mois, nous partons à la rencontre d’un décideur RH. Découvrez son parcours, les mille facettes de sa personnalité, ainsi que sa vision de la fonction RH, au travers d’un portrait empreint d’humanité et d’authenticité.

Ancien élève de l’ENS, agrégé d’histoire et titulaire d’un Mastère de relations internationales, Rémi Boyer a débuté sa carrière dans l’enseignement supérieur, avant de devenir chargé de mission auprès de François Bayrou, entre 1995 et 1997. Après cette expérience en cabinet ministériel, le PDG d’Usinor le recrute comme chargé de planification. En 2002, il rejoint Arcelor Mittal, en tant que Secrétaire Exécutif également en charge de la RSE du Groupe, puis DRH des Business Units Long Carbon Europe puis Flat Carbon Europe. En 2010, il devient Directeur du Développement des RH de PSA Peugeot Citroën, avant d’occuper le poste de DRH R&D et Moyens Supports, puis de prendre la Direction des Talents et du Top Management du groupe. En 2016, après 14 ans passés dans l’industrie, il rejoint Korian, numéro un des Ehpad et des cliniques spécialisées en Europe, en tant que DRH et directeur RSE du groupe. Portrait d’un décideur RH passionné et plein de sagesse.

 

Pourquoi les RH ?

Comme un certain nombre de RH, je ne me destinais pas forcément à ce domaine au départ. Ma carrière s’est construite sur des rencontres. J’ai rejoint le monde de l’entreprise sur le tard, après avoir été enseignant dans le Supérieur, puis chargé de mission auprès du ministre de l’Education Nationale, François Bayrou. Entre 1995 et 1997, j’ai notamment réalisé un audit national sur le système éducatif français, organisé les Etats généraux de l’université, et participé à l’élaboration d’un Livre Blanc. Lors de cette expérience très enrichissante en cabinet ministériel, j’ai rencontré le président d’Usinor, Francis Mer, qui m’a ensuite recruté.

J’ai découvert l’entreprise via la direction de la stratégie, puis à travers des fonctions en secrétariat de Comex, qui m’ont permis d’en avoir une vision assez panoramique. Par intérêt, par goût, et parce qu’on m’attendait un peu là, j’ai ensuite glissé assez naturellement vers les ressources humaines.

Pourquoi les RH ? Par construction, je m’intéresse à la nature humaine depuis que je suis enfant ; les gens m’intéressent. Je dis souvent que si c’était à refaire, je serais psychologue ou éthologue, car j’adore observer le comportement des autres. Je retrouve dans mon métier cette observation permanente des interactions humaines, même si les RH sont aussi là pour agir.

L’humain n’est pas un modèle mathématique : on ne peut pas le résumer à des standards de production ou à des outils d’analyses, car il est d’une infinie complexité. J’apprécie aussi cette gestion de la complexité que représentent les ressources humaines, et qui nécessite de s’adapter en permanence, tout en gardant une cohérence sur le long terme.

 

Votre plus grande fierté professionnelle ?

Une expérience récente m’a profondément marqué : j’ai réalisé une sorte de « vis ma vie » d’aide-soignant, chez Korian. J’ai ainsi passé une journée puis une nuit (un poste de jour, un poste de nuit) à me fondre dans la blouse d’un aide-soignant. J’ai choisi ce poste opérationnel, car il est aisément accessible en binôme avec un soignant bienveillant. J’ai donc réalisé tous les gestes que font tous les jours les aides-soignants : aider les patients à se lever, à se laver et à manger, mais aussi les rassurer…

Je m’étais fixé deux objectifs en organisant ce “vis ma vie” : vérifier la qualité de l’intégration (le fameux onboarding) des nouvelles recrues sur le terrain, et comprendre le déroulement de journée pour bien appréhender les notions de fatigue et de pénibilité liées aux postes de soignants.

J’ai vécu une très belle expérience, qui m’a appris énormément de choses en l’espace d’une seule journée puis d’une nuit. Elle m’inspire beaucoup, même un an plus tard. Ce que j’ai appris sur le terrain est plus précieux que la plupart  des rapports que l’on peut m’envoyer !

Chez Korian, nous avons déjà un programme d’intégration pour les cadres, qui consiste à passer deux jours en établissement, mais sur un mode très formel, puisqu’il s’agit de suivre un cadre de santé pendant sa journée. J’aimerais que chaque cadre puisse se retrouver réellement sur le terrain, une ou deux fois par an. Et je pense que tous les cadres dirigeants, dans toutes les entreprises, devraient le faire.

 

Le défaut que vous essayez de cacher ?

Je suis un faux calme. Je ne me mets jamais en colère mais je suis très impatient, je le masque derrière une apparence de calme permanent. J’essaie toutefois de montrer un peu plus que je ne suis pas content quand c’est le cas : les collaborateurs ont besoin qu’on leur dise la vérité, et que l’on soit sincère face à eux. Même si parfois, dans votre rôle de DRH, vous êtes aussi obligé de dissimuler ce que vous pensez pour faciliter les négociations.

 

La qualité qui fait l’unanimité dans votre entourage ?

Je suis à l’écoute des autres. Je me montre toujours disponible, pour entendre leurs plaintes ou leurs satisfactions. Mais il s’agit d’une compétence que devrait avoir tout RH. Nous sommes dans un monde où tout va très vite, où la relation professionnelle entre un salarié et son patron est souvent limitée dans le temps et dans le contenu. Il faut que les collaborateurs puissent disposer de moments où exprimer ce qu’ils ressentent, à propos d’eux-mêmes ou de l’entreprise. Pour moi, l’écoute active, posée et dans la durée est l’un des premiers rôles du RH.

 

Quelle serait votre devise professionnelle?

« Sois toi-même ». Il faut dire ce que l’on pense, et écouter son intuition. Lors de l’acte RH du recrutement, par exemple, mes collègues me font une immense confiance : en cas de doute, ils se tournent vers moi pour que je tranche. Cette confiance que l’on me porte est très gratifiante, mais aussi très responsabilisante : je suis obligé d’écouter mon intuition, de dire clairement les choses, et d’assumer les choix que je fais. Tout cela nécessite de rester soi-même.

 

Votre pain noir et votre pain blanc de décideur RH ?

Ce que j’apprécie le plus dans mon métier, c’est recruter et gérer les talents. J’aime ce défi, cette mission que l’on attend du RH : trouver la bonne personne, au bon endroit. Une adéquation fine entre homme/femme et poste, qui comporte parfois une complexité assez forte.

J’apprécie beaucoup moins, en revanche, ce qui concerne l’accompagnement des plans de départ. Vous le faites du mieux que vous le pouvez, mais même si vous vous entourez d’un discours très protecteur sur la mobilité et les compétences, vous savez que vous risquez de déstabiliser des individus, des familles, des vies. Ce n’est pas la chose la plus agréable à faire, même s’il faut le faire. Pour moi, il s’agit toujours d’un certain constat d’échec : quand vous êtes conduit à réaliser un plan de départ de manière massive, vous actez le fait que tous les autres outils RH n’ont pas fonctionné avant comme ils l’auraient dû, ou que la stratégie de l’entreprise n’était pas la bonne. Certaines mesures de séparation sont inévitables en raison de la conjoncture économique, mais d’autres peuvent être évitées, à mes yeux, grâce à une politique RH plus proactive et planifiée.

 

Le personnage de fiction, ou la personne célèbre, qui incarne le mieux la fonction RH ?

Spontanément, je pense à Winston Churchill ; quelqu’un qui avait une très haute idée de l’intégrité et des valeurs partagées, qui s’efforçait ne rien lâcher, et qui fédérait la population en temps de guerre. C’est l’idée de tenir bon sur les valeurs qui nous animent, de tenir et de donner le sens : nous sommes dans une situation de crise, mais un jour nous en sortirons grâce à nos valeurs.

Churchill avait une personnalité tonitruante, mais il avait l’avantage d’avoir un pied dans la société. Cela lui permettait de faire preuve à la fois de sagesse et de pragmatisme, afin de prendre les meilleures décisions possibles. C’est aussi ce qui nous caractérise, en tant que DRH : nous avons à la fois un pied dans la société, au sens de l’entreprise, et un pied dans la société au sens large. Nous sommes ceux qui amenons dans l’entreprise des tendances sociales et sociétales nouvelles. C’est par exemple ce que certains d’entre nous ont fait avec le télétravail, bien avant la crise du Covid-19, à une époque où le travail de pédagogie à mener auprès des dirigeants était un vrai challenge.

 

La différence entre un bon et un excellent décideur RH ?

A mon sens, l’excellent décideur RH doit être à l’écoute en permanence. Il ne se met pas en avant et doit prendre en permanence du recul et de la hauteur. De plus en plus, il est aussi le garant des valeurs : il défend la culture de l’entreprise, son code de conduite interne et ses règles, auprès de tous les collaborateurs, des non cadres jusqu’aux dirigeants. L’excellent DRH ne doit pas hésiter à dire les choses clairement à ses pairs ou son propre patron, quand leur comportement laisse à désirer. Il doit avoir le courage de rappeler à chacun, quand il le faut, les valeurs et l’éthique qui animent l’entreprise et qui garantissent son intégrité ; et bien entendu accepter de recevoir lui-même toutes formes de feedback.

 

Le collaborateur idéal ? Celui avec lequel vous aimeriez travailler ?

Le collaborateur idéal, c’est celui qui pense d’abord à l’intérêt de l’équipe et de l’objectif commun, avant son propre intérêt. Il est suffisamment agile intellectuellement pour comprendre qu’un objectif peut être revu, challengé et modifié, sans remettre en cause ce qu’il est, ou ce qu’il défend. Il ne doit pas s’installer dans une sorte de routine, et rester focalisé sur des objectifs à atteindre, envers et contre tout, parfois en dépit du bon sens. Le bon collaborateur, c’est donc celui qui sait rebondir et réajuster son tir face à la cible, en fonction du contexte et des nouvelles décisions prises par la direction. Il doit se concentrer sur la tâche, sans trop d’états d’âme ; bien sûr, à condition que son manager lui explique bien, au préalable, pourquoi les choses changent.

           

Votre truc pour motiver vos troupes ?

Cela peut paraître assez classique, mais j’aime organiser, régulièrement, de petits séminaires d’équipes, au vert. L’idée est de rassembler ses collaborateurs, même l’espace d’une demi-journée, et de les sortir du quotidien. J’ai toujours pris cœur à consacrer du temps à mes équipes en les plaçant dans un autre cadre, loin de la pression de leur quotidien professionnel. Pour motiver mes troupes, je manie également l’humour et l’écoute, notamment pour apaiser les tensions. Les équipes attendent de leur manager qu’il fasse redescendre la pression, mais aussi qu’il arbitre, en prenant des décisions. Le courage managérial est essentiel.

 

Le DRH du futur selon vous ?

Le DRH du futur, c’est celui qui, dans le monde qui vient, ne sera ni un technicien des RH (juriste social, expert des outils de recrutement, hyper-spécialiste des grilles salariales), ni un « super data manager » capable de faire parler les données comme un magicien, mais qui aura la tête dans les étoiles et les pieds sur le bitume. Il aura toujours un pied dehors, et un pied dedans. D’un côté, il ne se coupera pas de la réalité sociale et sociologique de son entreprise, en restant très proche du terrain. D’un autre côté, il se saisira pleinement des enjeux sociétaux avec un grand S, afin de faire rentrer dans l’entreprise toutes les tendances socio-démographiques qui émergent, sans être en retard. Par exemple, on parle beaucoup de la semaine de 4 jours, de nouvelles formes d’organisation du travail, de congés de parentalité, ou encore de congés menstruels : à lui de se demander si son organisation devrait tendre vers ces modèles ou non.

Bio

  • Depuis 2016 : DRH et directeur RSE du groupe Korian.
  • 2010-2016 : Directeur du Développement des RH, DRH R&D et Moyens Supports, puis Directeur des Talents et du Top Management de PSA Peugeot Citroën.
  • 2002-2010 : Secrétaire exécutif, Secrétaire de la Direction générale et du Comité exécutif, puis Secrétaire général du Comité de direction du groupe ArcelorMittal en charge de la RSE Groupe. DRH des BU Long Carbon Europe puis Flat Carbon Europe.
  • 1997-2002 : Chargé de mission au sein du département de la stratégie d’entreprise d’Usinor, à Paris, puis responsable de la planification stratégique de l’usine d’Usinor de Fos-sur-mer.
  • 1995-1997 : Chargé de mission auprès du ministre de l’Education nationale, François Bayrou.
  • 1991-1995 : Attaché temporaire d’enseignement et de recherche (A.T.E.R.) à Paris I / Panthéon-Sorbonne. Stagiaire à l’Unesco, puis à l’Assemblée nationale.
  • 1988-1991 : Master de Relations Internationales à Paris I / Panthéon-Sorbonne.
  • 1986-1991 : Elève à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lettres et Sciences humaines, Agrégation d’Histoire en 1989.

 

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