Tous les mois, nous partons à la rencontre d’un décideur RH. Découvrez son parcours, les mille facettes de sa personnalité, ainsi que sa vision de la fonction RH, au travers d’un portrait empreint d’humanité et d’authenticité. D’abord diplômé d’histoire, Dominique Laurent décide de poursuivre sa scolarité à Sciences Po Paris. Puis, il commence son parcours professionnel dans l’industrie pharmaceutique chez Servier, avant de prendre le poste de directeur des ressources humaines chez Electrolux Home Products France, entre 1997 et 2001. Il occupe ensuite la fonction de CHRO chez ElcoBrandt, de 2002 à 2006, et celle de maître de conférences en parallèle de ses missions, à Sciences Po, entre 1999 et 2008. C’est en 2006 que Dominique Laurent choisit d’intégrer Schneider Electric occupant différents rôles de DRH d’envergure internationale au sein du géant de la gestion digitale de l’énergie, jusqu’à prendre les rênes de la DRH de Schneider Electric France en 2019. Portrait d’un décideur à la singularité assumée et au fort tempérament, qui aime se nourrir des contextes âpres et incertains pour activer les transformations RH.
Pourquoi les RH ?
Lorsque j’ai choisi d’intégrer Sciences Po, mon idée première était plutôt de me diriger vers la communication mais une réforme de l’école a entraîné le regroupement des cursus communication & RH. Je me suis donc engagé dans cette voie généraliste, avant de me spécialiser dans les ressources humaines. Ce domaine me semblait concret et porteur de sens. Âgé d’une vingtaine d’années, je pouvais avoir une image un peu idéalisée du monde de l’entreprise et en particulier de celui des RH. Les choses n’étaient peut-être pas très claires dans mon esprit ou très idéalisées.
Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, lorsque j’ai pris la fonction de DRH de Schneider Electric France, je songeais plutôt à arrêter de faire des RH. Il faut dire que mon profil est un peu atypique. De nature très curieuse, je suis avant tout passionné par tout ce qui ne concerne pas directement les RH. J’aime avant tout m’intéresser à ce que j’appelle « la marche générale de l’entreprise ». Je passe beaucoup de temps avec mon Président France à échanger sur de nombreux sujets non RH. Je suis convaincu que le DRH a un vrai rôle à jouer dans la dynamique de l’organisation, dans la gestion des temps, des temporalités et dans les prises de décision. Soit il doit initier des transformations soit il doit les accompagner. Il est donc essentiel de comprendre la dimension business et de collaborer étroitement avec les équipes en charge. Je suis un généraliste qui aime challenger mes collègues et collaborateurs sur la conduite des affaires et mettre les RH au service du business.
Votre plus grande fierté professionnelle ?
L’histoire est assez étonnante. A l’époque où je travaillais chez Lagardère, je songeais sérieusement à quitter l’entreprise et j’ai été chassé pour être DRH de Louis Vuitton France. J’accepte cette proposition, quitte Lagardère et le lundi d’après, je prends mes nouvelles fonctions chez Louis Vuitton. Le samedi qui suit, je reçois un appel de mon ancien DG d’Electrolux, Bruno Vendroux. Ce dernier m’informe que suite au dépôt de bilan du groupe Moulinex Brandt, le leader industriel israélien Elco allait reprendre le groupe Brandt et que cette décision serait entérinée par le Tribunal de commerce de Nanterre dans les jours à venir. Bruno Vendroux était un grand leader, issu d’une famille illustre ; c’était une personnalité forte et très reconnue de la profession. Il me propose alors qu’il allait être nommé Président du Directoire, de devenir DRH du groupe et de rentrer également au Directoire. A l’époque, j’ai 35 ans et je viens tout juste de démarrer une nouvelle aventure chez Louis Vuitton. Après deux jours de réflexion et la consultation de quelques personnes en qui j’avais une grande confiance, je décide de quitter Louis Vuitton. Beaucoup ont trouvé cela insensé… Je me retrouve alors à la tête d’une entreprise en plein arrêt où tout est à reconstruire. Une mission commando nous attend avec une première année parsemée d’innombrables défis. Avec du recul, je pense que cette année-là valait certainement 15 années chez Louis Vuitton où tout était parfaitement huilé. Cette période m’a fait grandir à pas de géant. Globalement, j’aime les contextes difficiles qui nécessitent de trancher, motiver et reconstruire des équipes. C’est bizarre mais j’aime les situations de crise où aucune décision n’est parfaite mais où il est indispensable de décider.
Un événement qui a marqué votre vie professionnelle ?
Je citerai les attentats de 2015 et le COVID. À la différence des entreprises américaines, l’actualité ou les faits de société entrent peu dans l’entreprise, en France. Or, durant cette période vécue en 2015, la soudaineté et la violence des attentats ont fait une irruption violente dans l’entreprise, non pas parce que cette institution était mise en cause mais parce que le pays était dans un état d’extrême sidération. Il fallait trouver les mots justes dès le lendemain. Il a fallu donner du temps à ce deuil collectif.
Un deuxième événement frappant a bien sûr été la crise du covid. A la différence de 2015, il n’y a pas eu de soudaineté dans cette crise, nous l’avons vu monter jour après jour même si nous pensions qu’elle s’arrêtait à la frontière italienne. En revanche cette crise était sans précédent, aucun ; elle remettait tout en cause. Les entreprises ont dû poursuivre leur activité, tout en se reconfigurant complètement. Historiquement, il s’agit d’un événement marquant qui a presque nécessité une gestion de type situation de guerre. Je suis convaincu qu’il y a un avant et un après et que l’après reste marqué par ce que cette crise a changé.
Chez Schneider Electric, nous avions 15 000 collaborateurs en France répartis à travers près de 80 sites dont 30 usines. Nous ne savions rien de cette maladie, de sa contagiosité et de sa dangerosité dans la durée. Vous vous demandez alors comment reconfigurer le travail en usine et donc prendre des décisions par dizaine chaque jour car vous avez des milliers de collaborateurs qui attendent des réponses. D’ailleurs, constat amusant, nous autres DRH sommes devenus assez connus dans les entreprises alors que nous étions plutôt une figure lointaine et pas toujours connue contrairement à une idée reçue. Or, dans ce cas précis, nous prenions la parole chaque semaine.
Globalement, toutes les situations que je qualifierais de non conventionnelles sont marquantes : le redémarrage de Brandt alors en dépôt bilan, les acquisitions majeures et transformantes.
Votre pain noir et votre pain blanc de décideur RH ?
Mon pain blanc se situe dans tout ce qui va permettre de gérer des transformations durables, avec un fort impact sur l’entreprise. Je les perçois toujours comme un moment de fierté. Parfois, le DRH peut être pris dans une mauvaise spirale qui le cantonne à devoir gérer uniquement l’administratif du quotidien et à ne faire que du « run ». Dans ces cas-là, les chances d’agir positivement sur la marche générale de l’entreprise s’amenuisent. Il faut savoir s’extraire de ce « run » que beaucoup vivent aussi comme une forme de confort. L’habitude c’est confortable.
Quand la crise ukrainienne a eu lieu, nous avons décidé en 36 heures de mettre en place un programme chez Schneider Electric. J’ai porté ce projet qui consistait à donner la possibilité aux collaborateurs d’héberger des réfugiés chez eux, via un programme d’aide financière. Nous avons appelé ce programme « Green Cross », en référence au Red Cross de la Croix Rouge car le vert est la couleur de notre groupe. Nous avons pu mettre en place ce dispositif très rapidement et sans aller chercher des autorisations financières. Cela paraissait naturel de le faire et était très cohérent avec notre engagement citoyen historique. Ce type de projet fait clairement partie de notre pain blanc.
Concernant mon pain noir, je serais démagogue en vous disant qu’il s’agit du restructuring et des PSE. Nous ne le faisons pas de gaieté de cœur. Toutefois, ce qui est important est de bien le faire. Je suis attaché au fait que ces projets qui conduisent à des séparations et soient toujours gérés avec un extrême professionnalisme. J’ai rencontré certains jeunes RH qui ne dormaient pas la nuit et sont perturbés par le fait de devoir gérer les situations de rupture. Je le comprends. Je suis d’avis que ces sujets soient traités de la même façon qu’un chirurgien officie durant une opération. Si celui-ci a la main qui tremble, il va mal opérer. Plus nous avançons en âge et en expérience, plus nous sommes en mesure de gérer les séparations avec respect et bienveillance.
Quelle serait votre devise professionnelle ?
J’aime beaucoup la phrase d’Emmanuel Kant :
« Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire avec d’autres ».
L’une de mes hantises serait d’être accompagné d’une équipe qui penserait exactement comme moi sur tous les sujets. Je leur répète souvent qu’il y a un temps pour discuter et un temps pour agir. Ce temps de discussion doit être un temps de confrontations. Les idées doivent se frotter pour s’enrichir. Rien ne m’énerve plus qu’un unanimisme de complaisance. Le consensus c’est la paix des cimetières. D’ailleurs, nous avons mis en place une formation mondiale chez Schneider Electric sur les « crucial conversations ». Il s’agit de développer la capacité à établir des conversations cruciales avec d’autres collaborateurs. Cet état d’esprit est important et il faut l’encourager car nous rencontrons souvent une difficulté à opposer les idées sans que cela soit perçu comme une opposition entre les individus. Ensuite, je suis par ailleurs très attaché à la qualité de l’action et au fait de tenir ses promesses. Raisonnablement, il ne faut donc pas promettre beaucoup au risque de décevoir. Il vaut mieux faire un travail raisonnable mais bien exécuté.
Le défaut que vous essayez de cacher ?
Je peux parfois être assez voire très provocateur et mon équipe peut me rappeler à l’ordre sur cet aspect en me disant “non là tu en fais un peu trop.” Je dois gérer ce trait de caractère qui vient probablement de mon envie de conserver une certaine liberté d’esprit. Cela permet de pousser la réflexion dans ces retranchements pour en tirer le meilleur parti. Il faut savoir sortir du cadre. Notre fonction est trop main stream, trop sage, trop conventionnelle, trop prévisible. Notre fonction doit initier des transformations profondes, cela oblige à créer des ruptures. L’âge c’est un formidable bénéfice. Lorsque nous avançons en âge, nous acquérons le pouvoir de se désinhiber plus facilement et d’exprimer plus aisément ses convictions. Quand je suis arrivé en France, j’ai voulu mener une transformation concernant le dress code. Notre entreprise est devenue une véritable entreprise de tech digitale. Après un an d’observation, j’ai senti que nous devions changer le dress code pour incarner cette modernité et créer un environnement dans lequel les personnes que nous souhaitions attirer, puissent se reconnaitre. Il ne suffit pas de le décréter. Celui-ci doit être incarné d’en haut car sinon, rien ne change. J’ai donc pris le parti de venir en baskets, jean, pull de couleur. Cela sortait clairement de nos codes vestimentaires habituels. Je pense que cela a permis de contribuer à faire évoluer nos habitudes.
La qualité qui fait l’unanimité dans votre entourage ?
Mon entourage met en exergue mes capacités de communication, ma spontanéité, ma capacité à exprimer ma pensée sans détour.
La personnalité qui incarne le mieux la fonction RH ?
Étonnamment je citerai l’historien Fernand Braudel pour lequel j’ai une grande admiration. La semaine qui a suivi sa disparition Télérama a écrit un très bel article intitulé l’« historien qui trouva le temps long ». Comprendre les différentes temporalités qui rythment la vie des peuples et des sociétés est essentiel dans notre métier.
La différence entre un bon et un excellent décideur RH ?
La différence entre les deux réside dans la capacité à décider, y compris quand la situation est difficile. Lors d’une réunion récente, j’ai senti qu’à un moment donné, nous étions en train de repositionner des personnes que nous ne souhaitions plus impliquer durablement dans l’entreprise. Nous ne leur rendons pas service en agissant de la sorte. À deux reprises, j’ai forcé la prise de décision en posant la question de leur sortie de l’entreprise. Il faut savoir trancher car ne pas le faire diffère des décisions dont le coût humain peut s’avérer à terme bien supérieur.
Votre truc pour motiver vos troupes ?
Je privilégie un management par l’empowerment. Mes collaborateurs savent qu’ils ont la capacité à décider et l’autonomie suffisante pour mener à bien leurs projets. S’ils souhaitent changer tel aspect de leur activité, je leur laisse le champ libre pour l’effectuer. Je suis très attaché à ce terme anglo-saxon d’empowerment et qui ne possède pas de véritable équivalent en France. En contrepartie, ils sont hautement responsables du résultat. Je ne recherche pas le contrôle de mes équipes. Nous n’avons pas de point hebdomadaire mais je peux les solliciter 5 ou 6 fois dans la journée. Je laisse mes collaborateurs mener à bien leurs missions et j’arbitre lorsque la situation l’exige. Ensuite les résultats comptent, c’est la contrepartie de la grande liberté laissée.
Bio
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2019 à aujourd’hui : Directeur des Ressources Humaines de Schneider Electric France
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2014-2018 : Directeur des Ressources Humaines – Industrial Automation Business de Schneider Electric
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2013 : Directeur des Ressources Humaines en charge du volet RH de l’acquisition et d’intégration du Groupe Invensys Ltd
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2010-2013 : Directeur des Ressources Humaines – Industry Business chez Schneider Electric
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2009-2010 : Directeur des Ressources Humaines en charge du volet RH de l’acquisition et d’intégration d’Areva T&D c
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2007-2009 : Directeur des Ressources Humaines et Communication de la Division Internationalede Schneider Electric
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1999-2008 : Maître de Conférence en Ressources Humaines à Sciences Po
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2002-2006 : CHRO – Membre du Directoire du Groupe ElcoBrandt
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2001-2002 : VP, Ressources Humaines d’interdeco (devenu Lagardère Active)
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1997-2001 : Directeur des Ressources Humaines d’Electrolux Home Products France
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1991-1997 : Directeur des Ressources Humaines Business Partner chez Servier
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1988-1991 : Master’s degree Human Resources and Communication
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1987-1988 : Licence de Droit Public-Université de Panthéon-Assas
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1984-1987 : Bachelor d’histoire contemporaine à l’Université de Paris Cité
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