Une récente étude révèle les bienfaits du management bienveillant* : une réduction de l’absentéisme, une hausse de la productivité pouvant aller jusqu’à 12% et une meilleure rétention des collaborateurs. Si cette approche gagne fortement en popularité, sa mise en œuvre pose question : sommes-nous en train d’aller trop loin en privilégiant la bienveillance au point de compromettre l’autorité et l’efficacité nécessaires à la réussite d’une entreprise ? Aux côtés de Philippe Silberzahn, auteur, conférencier et professeur de stratégie à l’emlyon Business School, explorons où se situe la limite entre un management réellement bienveillant et un excès de permissivité pouvant mener à des dérives contre-productives.
Pourriez-vous définir le management bienveillant et nous expliquer en quoi il diffère des approches traditionnelles de management ?
Le management bienveillant, orienté vers le bien-être et le respect mutuel, privilégie une approche éthique et non coercitive qui vise la performance collective tout en respectant l’individualité. Cette méthode se distingue par son rejet des comportements nuisibles. L’objectif étant de favoriser un environnement de travail agréable sans toutefois prendre en charge le bonheur personnel des collaborateurs. La responsabilité du manager est donc de créer un cadre sécurisant et motivant, en adaptant son approche aux besoins de l’équipe. Ce cadre doit permettre de maintenir des limites claires pour éviter toute intrusion dans la sphère privée des individus.
Comment clarifier le concept de bienveillance, qui semble parfois perdre de son sens ?
Le défi avec des concepts de management tels que la bienveillance réside dans leur banalisation ou leur mauvaise interprétation. Il ne faut pas oublier que les collaborateurs sont des adultes autonomes, et non des êtres vulnérables nécessitant une protection à outrance. La bienveillance ne doit pas servir de prétexte à une gestion paternaliste ou manipulatrice. Sinon, cela peut mener à une dynamique où les individus se voient comme plus fragiles qu’ils ne le sont en réalité.
En quoi le management bienveillant doit-il nécessairement s’adapter au contexte de l’entreprise ?
Dans certains environnements professionnels axés sur les performances chiffrées, il existe un accord tacite sur les attentes envers les membres de l’équipe. Cet accord souligne une forme de bienveillance qui, plutôt que de souhaiter du mal, vise à encourager chacun à atteindre ses objectifs. Cette bienveillance se manifeste de différentes manières selon le contexte : dans la Légion étrangère, par exemple, elle est adaptée à la préparation au combat, avec le but de préserver la vie des soldats.
Steve Jobs exigeait, par exemple, l’excellence en recrutant les meilleurs talents chez Apple, et attendait d’eux qu’ils soient convaincus et conscients de leur valeur. Il pouvait donc se permettre d’être intransigeant car ses collaborateurs étaient motivés par le défi et l’opportunité d’exceller. Ce n’est pas tant de la bienveillance au sens traditionnel, mais plutôt une forme d’exigence mutuelle basée sur la reconnaissance des compétences de chacun.
Quels sont les éventuels risques d’une bienveillance excessive dans son management ?
Une bienveillance excessive peut parfois mener à une certaine complaisance ou à un relâchement des responsabilités managériales, en particulier dans des secteurs comme la construction où rigueur et ponctualité sont de mise. La véritable bienveillance implique de confronter les individus à leurs erreurs de manière respectueuse, afin de favoriser leur croissance personnelle, plutôt que d’adopter une attitude de fausse approbation qui pourrait à terme être perçue comme de l’indifférence.
Quels sont les avantages du management bienveillant pour les collaborateurs et pour l’entreprise ?
Je vois deux aspects à considérer : l’un clairement positif, l’autre moins facilement avouable. D’une part, un manager agréable contribue à une atmosphère de travail conviviale, ce qui est un avantage indéniable. D’autre part, la tendance moins avouable consiste à fermer les yeux sur les manquements, ce qui peut provoquer une fausse sensation de confort.
Je l’ai constaté, par exemple, dans une équipe de vente dirigée par une manager considérée comme particulièrement bienveillante. Celle-ci imposait peu d’exigences, ce qui plaisait à l’équipe mais nuisait à la productivité. Cette approche contrastait avec le style autoritaire du manager précédent. La clé est donc de trouver l’équilibre. Sans une certaine pression, la dynamique de l’équipe s’effondre. Une permissivité excessive peut démoraliser les troupes les plus performantes, qui peuvent alors choisir de quitter l’entreprise. Un procédé qui peut entraîner une forte baisse de la performance de l’entreprise.
Le défi pour un manager bienveillant réside-t-il davantage dans la quête de popularité plutôt que dans l’obtention du respect ?
La question de savoir si un manager bienveillant aspire davantage à être aimé qu’à être respecté soulève une réflexion importante. En réalité, affection et respect ne sont pas antinomiques. Mon expérience m’a montré que les enseignants les plus rigoureux et qualifiés réussissaient à être à la fois respectés et appréciés par leurs élèves. Le respect est fondamental et doit être acquis car il constitue le pilier de toute autorité légitime. Pour un manager, obtenir le respect de son équipe passe par une démonstration de compétence et un management efficace.
La bienveillance doit-elle être un critère dans le recrutement ou la promotion des managers ?
L’objectif ne devrait pas être de recruter des individus spécifiquement pour leur bienveillance, mais plutôt de s’assurer qu’ils ne sont pas nocifs ou malveillants. Un manager efficace doit être en mesure d’équilibrer la performance de son équipe avec l’adhésion à des normes éthiques élevées. De quoi favoriser un environnement de travail équilibré sans compromettre l’excellence opérationnelle.
Comment assurer l’intégration de la bienveillance à chaque niveau de la hiérarchie organisationnelle ?
Pour instaurer une culture d’entreprise axée sur la bienveillance, il s’agit d’établir et de communiquer clairement un ensemble de valeurs fondamentales et de nommer les comportements inacceptables. Bien que ces valeurs puissent évoluer, un socle stable de principes communs est à définir pour maintenir l’intégrité de l’équipe. Cette culture organisationnelle doit être élaborée collectivement, en incarnant les valeurs communes de tous les membres de l’équipe. Elle devrait reconnaître et apprécier chaque individu pour sa contribution, mais aussi l’inciter à accroître ses performances au sein de l’entreprise.