La démocratisation récente des modèles de langage tels que ChatGPT ou Google Bard a ouvert les yeux du grand public sur l’intelligence artificielle. Même si les systèmes de reconnaissance d’images, les assistants virtuels et les systèmes de recommandation étaient déjà largement diffusés, la possibilité d’utiliser soi-même, et aussi facilement, des systèmes d’intelligence artificielle a capté l’attention. Présente dans tous les domaines d’activité, de la santé à la finance, en passant par l’industrie, le numérique, les RH ou encore le retail, l’IA offre des opportunités partout où elle est déployée. Seulement, l’IA soulève aussi des questions et des préoccupations légitimes en ce qui concerne la confidentialité des données, l'éthique, la responsabilité et l'impact sur nos emplois. En réponse à ces défis, les gouvernements ont commencé à élaborer des réglementations pour encadrer l'utilisation de l'IA.
Un marché de l’emploi impacté
L’IA permet d’automatiser de nombreuses tâches, en les accomplissant plus rapidement et avec une qualité au moins égale à celle apportée par un humain. Il est donc évident que le marché de l’emploi en sera affecté dans un futur proche, en particulier les professions pour lesquelles l’utilisation de l’informatique est centrale et là où les tâches sont les plus routinières et/ou répétitives.
Traduction, classification, rédaction, code, calcul, statistique : les modèles de langage excellent dans les tâches informatiques. Les comptables, les gestionnaires paie ou encore les interprètes sont des professions particulièrement concernées par un changement à venir, notamment sur la suppression d’une partie de leurs tâches quotidiennes.
D’autres secteurs, comme celui de la logistique ou du service clientèle, vont également être concernés. D’un côté, les systèmes autonomes pourraient impacter les métiers liés aux transports, à la livraison ou au suivi des stocks. De l’autre, les métiers liés à la relation client pourraient continuer d’évoluer : les chatbots et autres assistants virtuels déjà massivement utilisés pour gérer le support aux clients dans les centres d’appels et les services clients en ligne, pourraient être « augmentés » pour mieux répondre aux exigences et ainsi réduire le besoin en personnel sur ces activités.
Si l’IA amène à repenser les missions de certains métiers, de nouvelles opportunités d’emplois pourraient être créées notamment pour développer, gérer, améliorer et interpréter les résultats des systèmes d’intelligence artificielle.
L’IA : une technologie au service des RH ?
Des impacts sur les processus RH
La fonction RH est elle aussi déjà impactée par ces évolutions. Plusieurs entreprises ont déjà intégré des systèmes d’intelligence artificielle à leurs processus :
- Recrutement: l’IA peut automatiser le sourcing et présélectionner les candidats. Ces deux tâches constituent à elles seules 80% du temps passé par le/la responsable RH sur un recrutement[1].
D’autres entreprises vont plus loin encore, à l’instar de Randy, le robot conversationnel développé par Randstad, qui proposent des tests personnalisés et orientent les candidats vers les métiers les plus adaptés. Cet outil permet d’accompagner le candidat de façon personnalisée et améliore son expérience candidat en participant à la réduction de son stress et en gamifiant son parcours[2]. - Développement des compétences et processus de mobilité interne[3]: l’IA peut être utilisée pour analyser les compétences et les expériences des employés afin de les jumeler de manière plus précise avec des opportunités de mobilité interne. Ce qui permet d’identifier les talents internes et de les aider à évoluer au sein de l’organisation, tout en favorisant leur fidélisation et stimulant leur engagement.
- Formation: grâce à des chatbots qui peuvent identifier les besoins de développement de chaque employé et proposer des formations ciblées pour les aider à acquérir de nouvelles compétences et à progresser dans leur carrière.
- Communication RH: des assistants virtuels peuvent être utilisés pour répondre rapidement aux questions des employés sur les avantages sociaux ou la politique de l’entreprise. Cela permet aux employés d’obtenir des réponses rapides et précises à leurs questions, améliorant ainsi leur satisfaction et leur engagement.
- Gestion des talents: l’IA peut également être utilisée pour prédire les départs d’employés et identifier les facteurs de désengagement. En analysant les données des employés, tels que les commentaires, les enquêtes de satisfaction et les données de performance, les entreprises peuvent identifier les signaux précurseurs de départs potentiels et prendre des mesures préventives pour réduire le risque de turnover.
D’autres domaines RH, comme celui de l’évaluation de la performance ou celui du reporting social, pourraient aussi être impactés.
Point d’attention sur le biais des données
L’un des défis majeurs de l’IA est le biais des données auxquelles certains modèles d’apprentissage peuvent être confrontés. Si ces modèles ne sont pas correctement étalonnés, ils peuvent reproduire et amplifier des biais réels, entraînant ainsi des discriminations injustes.
Par exemple, en matière de recrutement, les systèmes d’intelligence artificielle peuvent être formés sur des données historiques qui reflètent les préjugés et les discriminations existant dans la société. Ces modèles peuvent alors reproduire ces biais lorsqu’ils sont utilisés pour évaluer et sélectionner des candidats, entraînant une discrimination injuste et contribuant à perpétuer des inégalités.
Amazon, par exemple, a développé un outil IA de recrutement. Le modèle qui s’appuyait sur les CV reçus par le groupe sur une période de dix ans a été troublé par la prédominance masculine au sein de la base de données et écartait donc, de plus en plus, les CV de femmes dans ses recommandations de profil, particulièrement sur les métiers techniques.
La fonction RH devra donc être conscience et attentive à ces biais.
La question de la confidentialité des données
La question de la confidentialité et de la protection des données est également cruciale, car l’IA repose sur la collecte et l’analyse de données, y compris personnelles. Des préoccupations existent concernant l’utilisation des données à des fins non autorisées ou malveillantes.
Par exemple, l’IA peut être utilisée pour analyser les profils des candidats et identifier les compétences, les expériences et les qualités qui correspondent le mieux à un poste vacant. Cette approche permet de simplifier et d’accélérer le processus de sélection, ce qui peut être bénéfique pour les recruteurs et les candidats. Cependant, cela soulève également des préoccupations concernant la protection de la vie privée et l’utilisation des données personnelles des candidats.
Pour répondre à ces préoccupations, il est essentiel de mettre en place des mesures de sécurité pour protéger les données des candidats et garantir que leur utilisation est conforme aux réglementations en matière de protection des données. Il est aussi important de mettre en place des mécanismes de transparence pour que les candidats puissent comprendre comment leurs données sont utilisées et avoir la possibilité de contrôler leur utilisation.
La réglementation pour répondre aux inquiétudes ?
Une réglementation à l’échelle mondiale
Différents modèles règlementaires se mettent en place.
Les modèles réglementaires de la Chine et des Etats-Unis, les deux pays les plus disruptifs en termes d’innovation, sont évidemment sensiblement différents, avec d’un côté, une approche stricte et des modèles systématiquement soumis à une validation étatique, et de l’autre, une approche plus libérale, plus souple, visant notamment à faire collaborer le secteur public et le secteur privé pour créer des partenariats d’innovation.
Si ces deux modèles dicteront pour sûr le futur de l’IA, l’influence de l’UE devrait aussi être considérée comme un des marqueurs du futur en terme d’innovation et des impacts sur nos modes de vie. L’UE s’est en effet distinguée par son engagement en faveur d’une réglementation éthique de l’IA. Une approche par risque est imaginée par les régulateurs. Celle-ci devrait permettre d’alterner entre rigidité et souplesse en fonction du niveau de risque des modèles. Des obligations spécifiques plus dures sont donc à prévoir pour les systèmes identifiés comme les plus risqués.
Règlementer sans freiner l’innovation : le défi des législateurs
Néanmoins, des réglementations trop lourdes pourraient en effet freiner l’innovation et limiter le potentiel de l’IA pour résoudre des problèmes complexes. Pour que la réglementation soit soucieuse de l’innovation, plusieurs approches[4] peuvent être envisagées :
- Le maintien d’une définition identique de ce qui est légal et illégal pour les êtres humains et les systèmes d’intelligence artificielle. En imposant des normes plus strictes aux systèmes d’IA, les législateurs pourraient dissuader l’utilisation de la technologie, limitant ainsi son potentiel.
- Une règlementation orientée sur les applications spécifiques de l’IA plutôt que sur la technologie elle-même. La régulation de la conduite des véhicules autonomes ou des systèmes de diagnostic médical nécessite une approche distincte de celle régissant les robots d’automatisation de transactions en bourse, par exemple.
- La prise en compte de l’ensemble du problème plutôt que de se concentrer uniquement sur la partie qui implique l’intelligence artificielle. En se focalisant exclusivement sur la dimension IA, on risquerait de détourner l’attention sur la résolution du problème dans son ensemble.
Par exemple, l’objectif des législateurs ne peut pas être uniquement de s’attaquer aux pratiques discriminantes de recrutement impliquant l’IA, mais plutôt à toutes les pratiques de recrutement discriminantes. Le fait de se focaliser sur l’IA en tant que problème ne tient pas compte des possibilités d’utiliser l’IA comme élément de solution, par exemple en examinant comment l’utilisation de l’IA pourrait injecter plus d’objectivité, plus d’équité, dans les pratiques de recrutement. - L’utilisation de la réglementation existante à ce jour. Plusieurs lois abordent déjà les préoccupations courantes liées à l’intelligence artificielle, telles que le code du travail, les lois anti-discrimination et la réglementation sur la protection des données. En les adaptant et en les étendant au contexte de l’IA, les gouvernements pourraient bénéficier d’une approche plus équilibrée et efficace.
Il est donc essentiel que les gouvernements et les acteurs de l’IA collaborent pour développer une réglementation responsable et équilibrée, qui permette de mettre en œuvre les progrès identifiés tout en protégeant les droits humains.
L’IA offre des opportunités sans précédent pour améliorer de nombreux aspects de nos vies, y compris dans le domaine des ressources humaines. Elle permet d’automatiser des tâches fastidieuses et répétitives, d’améliorer les processus de recrutement et d’évaluer l’engagement des collaborateurs de manière plus précise.
Cependant, ces avancées soulèvent également des questions éthiques et pratiques, notamment en matière de confidentialité des données, de protection contre les biais algorithmiques et d’impact sur le marché de l’emploi. La réglementation joue un rôle crucial pour encadrer l’utilisation de l’IA et s’assurer qu’elle se développe de manière responsable en favorisant la diversité, l’inclusion et l’équité.
Reste à évaluer si la législation pourra évoluer au même rythme que la technologie, mais une chose est certaine : l’IA est là pour rester, et il est essentiel de faire preuve de responsabilité et de vigilance dans son utilisation. En travaillant ensemble, les gouvernements, les entreprises et les citoyens peuvent façonner un avenir où l’IA contribue réellement à améliorer notre société, nos modes de travail et notre qualité de vie.
[1] IA et recrutement : quels impacts sur les métiers cadres des RH ?
[2] L’intelligence artificielle pour mieux recruter… vraiment ?
[3] How Skills-Based Organizations Can Use AI to Create the Jobs of Tomorrow
[4] Ten principles for regulation
Envie de prolonger les échanges avec Romain ?