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Avec la pleine intégration de l’IA, les professionnels RH devront constamment adapter leurs pratiques au fur et à mesure, tout en restant attentifs à un autre défi majeur : la reconnaissance des collaborateurs.

L’intelligence artificielle s’intègre progressivement dans toutes les fonctions de l’entreprise, et les ressources humaines ne font pas exception. Automatisation des tâches administratives, recrutement prédictif, amélioration de l’expérience collaborateur : l’IA ouvre de nouvelles perspectives pour les professionnels RH. Pourtant, cet enthousiasme s’accompagne d’incertitudes. Si l’IA promet d’optimiser les processus et de libérer du temps pour des missions à forte valeur ajoutée, elle soulève également des questions sur la gestion des données, l’éthique et la transformation des métiers.

Comment les directions RH peuvent-elles s’adapter et tirer parti de ces innovations tout en préservant la dimension humaine ? Quels seront les impacts à long terme sur la gestion des talents et le rôle des RH ? Yann Ferguson, docteur en sociologie à l’Inria et directeur scientifique du LaborIA, livre sa vision sur la redéfinition de la fonction RH à l’ère de l’IA.

 

Comment l’IA transforme-t-elle le monde du travail ?

L’IA a véritablement pris son essor au début des années 2010 avec la réactualisation d’un courant ancien, l’IA connexionniste. Contrairement à l’IA dite « logique », qui repose sur la formalisation de règles de raisonnement, ce courant s’appuie sur l’apprentissage des machines à partir de données. L’idée est que ces machines, nourries par des quantités massives d’informations, puissent développer leurs propres règles pour atteindre des objectifs précis.

L’arrivée de l’IA générative a ensuite bouleversé les usages. Ce qui est inédit, c’est que cette technologie s’est d’abord imposée auprès du grand public. En s’emparant de ces outils, une part importante des collaborateurs ont commencé à intégrer spontanément l’IA dans leur quotidien professionnel, souvent sans directive explicite de la part de leurs employeurs. Ils l’utilisent comme un levier d’inspiration et d’aide à la créativité. Aujourd’hui, près de 20 % des Français ont recours à l’IA dans leur travail, contre moins de 1 % il y a encore quelques années.

 

Où en est-on du déploiement de l’IA dans les entreprises, et notamment dans les RH ?

L’IA n’est plus l’apanage des départements IT. Les directions des ressources humaines ont rapidement compris qu’elle constituait, avant tout, un enjeu stratégique RH. Celles-ci utilisent l’IA générative pour optimiser de nombreuses tâches quotidiennes, telles que la rédaction d’emails, la préparation de présentations ou encore l’animation de sessions de brainstorming. Les professionnels RH doivent également composer avec l’adoption informelle de l’IA par les collaborateurs.

Dans ce contexte, la fonction RH se positionne en première ligne pour accompagner la transformation des métiers. Elle doit identifier et développer les compétences de demain. Certains DRHs vont même plus loin en engageant les comités de direction dans une réflexion stratégique sur l’impact de l’IA, et en co-pilotant cette transformation avec la DSI. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir les directions RH prendre l’initiative de diriger des « think tanks » internes dédiés à l’IA générative. Cette nouveauté illustre clairement leur rôle de moteur dans la transformation organisationnelle. 

 

Quels sont les défis que les DRH vont rencontrer avec l’IA ?

Le premier grand défi consiste à préserver la dynamique collective. Le fait que l’IA permette d’accomplir de nombreuses tâches de manière autonome, y compris les sessions de brainstorming, pourrait affaiblir l’esprit de collaboration et isoler les individus dans leur travail.

Le second défi réside dans la nécessité d’encadrer strictement l’usage de l’IA, notamment dans des domaines sensibles comme la gestion des contrats, afin de s’assurer qu’elle est utilisée à bon escient et en conformité avec les exigences légales et réglementaires. Car si l’IA générative peut être pertinente, le concept de vérité lui échappe.

Un autre enjeu prégnant concerne la redéfinition des rôles professionnels. L’IA réduit la demande pour certaines compétences juniors et met potentiellement en péril le modèle de tutorat des seniors, un pilier traditionnel de la montée en compétences.

Enfin, il existe un risque de creusement d’un fossé générationnel, l’IA étant principalement adoptée par les plus jeunes générations. La fonction RH devra veiller à combler cet écart pour maintenir la cohésion des équipes et garantir une transition harmonieuse vers ce nouvel environnement technologique.

 

À quoi ressemblera une direction RH après la transition complète vers l’IA ?

Une fois l’IA pleinement intégrée, les directions RH bénéficieront d’outils de pointe pour la gestion des talents, le recrutement, et même la prédiction des départs. L’utilisation de ces IA, considérées comme « à haut risque » par le règlement européen de l’IA, exigera une vigilance constante pour prévenir les biais et les discriminations qui pourraient émerger dans les processus décisionnels.

Les professionnels RH devront constamment adapter leurs pratiques au fur et à mesure que l’IA évolue, tout en restant attentifs à un autre défi majeur : la reconnaissance des collaborateurs. Beaucoup craignent que l’automatisation via l’IA minimise leurs contributions et leur mérite. La fonction RH devra donc trouver un équilibre entre l’efficacité apportée par l’IA et la valorisation du travail humain.

 

Comment les DRH peuvent-ils faire face à l’incertitude liée à l’émergence de nouveaux métiers et accompagner les collaborateurs en limitant les risques ?

Les DRH doivent prioriser la formation, aussi bien pour eux-mêmes que pour les collaborateurs et les membres du COMEX. Idéalement, 75 % des collaborateurs devraient acquérir une compréhension de base de l’IA qui inclut ses principes, ses limites et ses implications éthiques, afin d’en garantir une utilisation efficace et sécurisée. Cela peut inclure des programmes sur les fondamentaux de l’IA, même en l’absence de projets IA immédiats. L’objectif est d’assurer une utilisation éclairée de ces technologies tout en prévenant les erreurs, en particulier dans la gestion des données sensibles.

La mise en place d’une comitologie éthique est également une solution pertinente. Composé d’experts internes et externes, ce comité veillera à ce que l’usage de l’IA soit conforme aux législations en vigueur et aligné avec les valeurs de l’organisation. Cette vigilance permettra de prévenir toute dérive potentielle et de préserver l’intégrité éthique de l’entreprise.

 

Comment l’IA va-t-elle transformer notre rapport au travail ?

À court terme, de nombreux collaborateurs passeront d’un rôle de « producteurs » à celui de « superviseurs », chargés de valider les tâches exécutées par la machine. Bien que cette évolution soit bénéfique dans de nombreuses tâches, elle pourrait entraîner un certain détachement, voire un désengagement progressif vis-à-vis du travail.

L’IA offre également de nouvelles opportunités. En libérant les collaborateurs des tâches répétitives et fastidieuses, elle leur permet de se concentrer sur des activités plus enrichissantes, comme la créativité ou l’accompagnement des équipes auxquels l’IA peut également apporter de la valeur. L’enjeu pour les entreprises sera donc de maximiser ces effets vertueux et d’atténuer les risques de désengagement, afin de préserver un rapport au travail stimulant.

 

Comment l’IA impacte-t-elle la relation managériale et quel avenir pour les managers, notamment en matière de reconnaissance au travail ?

L’impact de l’IA sur la relation managériale donne lieu à plusieurs hypothèses, dont certaines évoquent la possible disparition des managers intermédiaires en raison de l’autonomisation des travailleurs. Pourtant, les managers de proximité demeurent, selon moi, des maillons indispensables au bon fonctionnement de l’organisation, surtout lorsqu’ils possèdent une expertise métier leur permettant de saisir les dynamiques induites par l’IA et de redonner du sens au travail des collaborateurs.

Pour les managers dont les compétences sont principalement managériales plutôt que techniques, leur rôle évoluera certainement vers un accompagnement de l’autonomie des équipes. Ils continueront de jouer un rôle clé dans la reconnaissance et la valorisation des collaborateurs. Leur capacité à maintenir un lien humain et à créer un environnement de travail épanouissant deviendra d’autant plus importante à l’ère de l’IA.

 

Que feriez-vous sans l’IA ?

C’est une question intéressante, car depuis que l’IA a pris une place centrale en entreprise, ma vie professionnelle a radicalement changé : j’ai été invité à l’Élysée à deux reprises et aujourd’hui, je reçois en moyenne cinq sollicitations par jour pour des conférences, des interviews ou des interventions. Cette évolution ne s’explique pas seulement par mon expertise en IA, mais aussi par l’intérêt grandissant pour ce domaine.

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