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Sensibiliser les managers à la dimension culturelle repose sur deux leviers : valoriser des profils diversifiés et repenser la mobilité. En diversifiant leurs expériences, ils affinent leur compréhension des subtilités culturelles et deviennent moteurs des transformations.

Lors des projets de transformation organisationnelle, l’attention se porte souvent sur les aspects stratégiques et techniques. Si ces aspects sont déterminants pour garantir le succès, ils ne suffisent pas à eux seuls. Trop souvent, la dimension culturelle reste reléguée au second plan par les décideurs. Pourtant, c’est elle qui conditionne les comportements, façonne les dynamiques internes et peut permettre de surmonter les résistances en mobilisant les équipes. Comment appréhender cette dimension culturelle au sein de la fonction RH ? Comment la définir, l’intégrer et sensibiliser managers et collaborateurs à son importance ?

 

Aux côtés d’Olivier Meier, professeur des universités, HDR, et directeur de l’Observatoire ASAP en partenariat avec Polytechnique et Sciences Po Paris et auteur d’une trentaine d’ouvrages sur le management, explorons les enjeux, méthodes, obstacles qu’elle représente. Découvrez comment transformer ces défis en opportunités pour conduire vos projets avec davantage d’agilité et d’impact.

Dans votre ouvrage Management interculturel, vous expliquez que la dimension culturelle conditionne les comportements des salariés face à des situations imprévues. Comment la définiriez-vous dans le cadre d’une organisation ?

La dimension interculturelle est passionnante par sa richesse et sa complexité. On l’associe souvent à la rencontre entre cultures nationales, mais elle dépasse largement ce cadre. Elle englobe également la culture d’entreprise et la culture organisationnelle, qui influencent directement les interactions internes.

Il faut aussi considérer les différentes sous-cultures, comme celle des ingénieurs par rapport à celle des commerciaux, ou encore des contrôleurs financiers. Ces sous-cultures ont un impact sur les dynamiques internes des organisations. À cela s’ajoutent les particularités locales ou régionales, qui enrichissent ou complexifient encore davantage cette mosaïque culturelle. Prenons l’exemple de l’Allemagne : la culture du nord diffère sensiblement de celle du sud. Aux États-Unis, les variations culturelles entre le nord, le sud, l’est et l’ouest sont encore plus prononcées.

 

En quoi la dimension culturelle peut-elle devenir un levier stratégique pour accompagner les transformations organisationnelles ?

La dimension culturelle constitue un levier stratégique pour gérer, entre autres, les résistances, les blocages ou les sensibilités qui surgissent inévitablement lors des transformations. Ces résistances ne se résument pas à une simple peur du changement. Elles traduisent souvent une remise en question des croyances, des valeurs ou des équilibres de pouvoir au sein de l’organisation.

Lorsqu’une fusion, une restructuration ou une réorganisation est annoncée, la première réaction des collaborateurs est généralement : “Qu’est-ce que cela va changer pour moi ?”. Cette interrogation touche directement leur périmètre d’action, leur légitimité ou leur place dans la hiérarchie.

Dans ce contexte, même les arguments stratégiques ou économiques avancés par la direction, comme l’amélioration de la compétitivité ou le renforcement de l’efficacité, peinent à convaincre. Si ces changements entraînent des licenciements, une perte de responsabilités ou une marginalisation du rôle des individus, les bénéfices collectifs, aussi pertinents soient-ils, passent au second plan.

 

Quels sont les principaux obstacles liés à la culture organisationnelle qui peuvent freiner un processus de transformation ? Comment les surmonter ?

À mon sens, la rigidité des organisations constitue l’un des principaux obstacles. Prenons l’exemple de Toyota, une entreprise emblématique avec une culture forte et bien ancrée. Ces valeurs sont de véritables atouts pour la cohésion et la stabilité interne, elles peuvent aussi devenir un frein lorsqu’il s’agit d’engager des transformations majeures. En favorisant la préservation des pratiques existantes, elles risquent de générer une résistance au changement, souvent au détriment de l’innovation.

Un effet fréquent de ces valeurs solidement établies est le “groupthink”, ou pensée de groupe. Ce phénomène se traduit par une homogénéité des idées où chacun finit par penser de la même manière. Si cette dynamique sécurise l’organisation et renforce son unité, elle limite également sa capacité à accueillir la différence, à intégrer des idées nouvelles et à s’adapter aux évolutions de son environnement. Réinterroger ce qui a fait notre succès hier est un exercice complexe, mais indispensable. Cela exige une grande humilité et un effort constant pour remettre en question ses certitudes, encourager la diversité des points de vue et s’ouvrir à de nouvelles perspectives.

 

Quelles méthodes ou quels outils recommandez-vous pour analyser la culture existante d’une organisation avant de lancer une transformation ?

Aujourd’hui, plusieurs outils permettent d’analyser efficacement la culture organisationnelle, notamment dans un contexte interculturel. Les travaux de Geert Hofstede offrent une grille d’analyse parfaitement pertinente, fondée sur plusieurs dimensions clés :

  • La distance hiérarchique : mesure l’acceptation des inégalités de pouvoir au sein de l’organisation ;
  • L’individualisme versus le collectivisme : évalue si une culture privilégie l’autonomie individuelle ou la solidarité de groupe ;
  • Le contrôle de l’incertitude : analyse la tolérance d’une culture face à l’ambiguïté et à l’imprévu ;
  • L’orientation long terme versus court terme : distingue les cultures axées sur la planification à long terme de celles privilégiant des résultats immédiats ;
  • L’indulgence versus la restriction : explore si une culture valorise la satisfaction des désirs personnels ou impose une retenue dictée par des normes sociales ou religieuses.

En complément, Fons Trompenaars propose d’autres concepts utiles :

  • Les cultures universalistes versus particularistes : questionnent si les règles générales priment ou s’adaptent selon le contexte ;
  • Les cultures neutres versus émotives : analysent la manière dont les émotions sont exprimées, notamment dans des situations de tension. Par exemple, dans une culture neutre, les conflits sont abordés de manière calme et factuelle, tandis que dans une culture émotive, les réactions peuvent être vives et passionnées.

 

Comment sensibiliser les managers à cette dimension culturelle et les accompagner efficacement dans leur rôle de relais ?

La réponse repose sur deux axes principaux. Le premier concerne le recrutement. Il s’agit de valoriser les profils diversifiés et les trajectoires atypiques pour enrichir la culture organisationnelle. Par exemple, cela peut être un ingénieur devenu marketeur ou un financier ayant travaillé sur le terrain dans une usine. Ces croisements de trajectoire favorisent des visions complémentaires et des interactions plus riches au sein des équipes.

Le second axe consiste à repenser la mobilité sous toutes ses formes. Celle-ci ne doit pas se limiter aux déplacements géographiques, mais inclure aussi la mobilité fonctionnelle (changement de rôle ou de métier) et organisationnelle (exploration d’autres départements ou divisions). En diversifiant leurs expériences, ils affinent leur compréhension des subtilités culturelles et deviennent moteurs des transformations.

 

Pouvez-vous partager un exemple concret où la prise en compte de la dimension culturelle a permis la réussite d’un projet de changement ?

Un exemple révélateur est celui de L’Oréal. L’entreprise a compris que l’innovation ne pouvait pas se limiter à un modèle descendant, centralisé dans ses centres d’excellence en R&D. Elle a adopté une approche d’innovation inversée, où les idées naissent directement du terrain.

Au Brésil, un pays riche en diversité culturelle, les équipes locales ont mené des expérimentations pour développer des shampoings adaptés à une grande variété de textures capillaires : cheveux épais, fins, bouclés, crépus, et bien d’autres. Ces initiatives locales ont permis de faire remonter de nouvelles idées, qui ont ensuite enrichi l’offre globale de L’Oréal. Ce modèle démontre parfaitement qu’un socle commun solide, en l’occurrence, les valeurs et principes de la marque, peut coexister avec des expérimentations locales.

 

Comment voyez-vous évoluer la prise en compte de la dimension culturelle dans les organisations dans les années à venir ?

La dimension culturelle est déjà bien intégrée dans les grandes entreprises, notamment grâce aux avancées en matière de diversité et d’inclusion. Néanmoins, un long chemin reste à parcourir, surtout pour les PME et PMI, qui disposent souvent de ressources plus restreintes pour explorer ces thématiques. 

Selon moi, le véritable défi des années à venir sera de dépasser une diversité réduite à des critères classiques tels que les nationalités, les origines ou les genres, pour révéler pleinement la richesse des trajectoires individuelles. Qu’il s’agisse de reconversions ou de transitions entre secteurs très différents, chaque parcours atypique peut apporter une valeur unique. Reconnaître et intégrer cette diversité des expériences et des points de vue deviendra capital pour renforcer l’innovation, la capacité d’adaptation et la résilience des organisations face aux défis à venir.

 

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